Depuis un moment, c’est la pénurie des composants électroniques. Ils connaissent une insuffisance d’offre à travers le monde qui impacte les entreprises dans tous les secteurs. Quels en sont les raisons ? Selon quels mécanismes se font et se défont ces pénuries ?

Un de mes proches, pas du tout dans le milieu électronique, me questionnait récemment sur cette pénurie de semiconducteurs dont on entend tant parler en ce moment.

Tout en expliquant le mécanisme de l’offre et la demande, j’ai alors réalisé combien il était spécifique à ce milieu et combien il était nécessaire de rester synthétique pour rendre audible l’explication.

Ainsi, je m’excuse par avance auprès des experts qui liront la suite de cet article pour les raccourcis que j’ai dû prendre dans sa rédaction.

Alors, comment expliquer la pénurie de composants électroniques en 4 étapes ?

La réponse est plus centrée que ce qu’on lit dans les journaux. On y pointe du doigt une multitude de bonnes raisons. 

La Covid 19, le business du télétravail avec le succès des ordinateurs, le confinement avec celui des téléviseurs pendant cette période. Les problèmes d’acheminement des matières premières, les besoins de l’automobile électrique, la 5G, les blocages de l’administration Trump envers la production chinoise… tant de facteurs légitimes qui noient la véritable cause de rupture.

Une pénurie connue depuis des décennies : les composants électroniques

En fait, la pénurie est en premier lieu la conséquence d’un cycle connu depuis des années qui impacte différentes familles de produits selon l’actualité. En 1995 on courait après les composants discrets et les DSPs. En 2000 on se battait pour obtenir des Flash, des tantales. En 2010, en 2017, en 2021, en 2022 on constate de plus en plus de familles impactées.

Que d’années éreintantes, cruelles, dangereuses et aussi…. Rémunératrices pour certains !

Les éléments déclencheurs de pénurie exposés plus hauts ne sont en fait que des gouttes d’eau qui font déborder un vase déjà trop plein.

Les capacités de production ajustées, toujours à la limite :

Une bonne usine de production est une usine profitable, celle dont la capacité de production est utilisée au plus proche de 100%.

En période de creux économique, les fabricants rationalisent et ferment les unités de production pour aligner vers le bas leur capacité avec le marché alors en dépression.

En période d’accélération économique, les fabricants ne sont généralement pas très réactifs. La situation de tension est en effet très rémunératrice. La décision d’investir dans de nouvelles capacités de production est donc longue et la construction d’une usine prend ensuite près de deux ans.

Des tensions qui se propagent suite à la pénurie :

En situation de tension, le fabricant peut gérer stratégiquement ses plans de production. Il peut ainsi privilégier les produits les plus rentables, les moins second-sourcés car souvent les plus récents.

En leur faisant bénéficier de la priorité des capacités de production il en réduit celle des produits disons plus commodities. Ceci aura comme conséquence d’étendre la pénurie aux autres familles de produits pourtant moins sollicitées, ce qu’on constate particulièrement depuis 2010. En exemple, la capacité de production des condensateurs 0805 avait alors été dirigée au profit des boitiers 0402 (12 fois plus petit pour le même prix).

La spéculation comme conséquence de la pénurie :

On peut ajouter à cela une spéculation très tentante. Certains distributeurs analysent au quotidien les flux mondiaux. Ainsi, toute rumeur, tout mouvement inhabituel du marché déclenche des achats. Un pic de conso sur des transistors en Asie déclenche immédiatement des commandes de masse en Europe et en Amérique. La rapidité d’exécution permet d’acquérir au prix marché, non encore impacté par la tension naissante et d’obtenir la priorité des livraisons (FIFO). C’est presque du trading haute fréquence.

Le cercle vicieux de la pénurie entre délai et backlog  :

Une fois la tension sur le produit “mondialisée” les délais augmentent rapidement.

En effet, l’augmentation du portefeuille de commande (backlog) chez les fabricants entraine logiquement l’augmentation de leurs délais (L.T).

Il n’y a alors pas d’autres choix pour les industriels que de s’adapter en mettant à jour à la hausse leurs délais d’approvisionnement dans leurs ERPs. La fenêtre de livraison s’allongeant, elle provoque une augmentation des quantités commandées.

Les fabricants recevant alors plus de commande pour une même capacité de production, voient leur LT à leur tour naturellement augmenter. Et nous voici dans le cercle vicieux.

Le double effet kiss cool...

Les acheteurs ayant l’expérience des cycles antérieurs savent que d’autres produits vont être impactés. Ils s’engagent alors dans des programmes de sécurisation des appros. Pour ce faire, ils élargissent la constitution de stock de sécurité à d’autres produits ce qui contribue immanquablement à tendre un peu plus le marché.

Pour en être capables les EMS (soutraitants) se font accompagner par leurs clients (OEMs) qui parfois voire souvent les accompagnent dans cette constitution de stocks et certaines fois sécurisent eux-mêmes les appros.

Les allocations :

Les plus grands OEMs, se rapprochent alors des fabricants pour obtenir des livraisons plus rapides, c’est la valse des allocations, modèle de gestion des priorités de livraison.

Pendant que les clients majeurs jouent des muscles pour obtenir plus d’allocation de pièces, les clients modestes sont les moins bien lotis et n’ont d’autres recours que de jongler avec leurs plans de production.

Le dépannage :

Les clients bloqués (en shortage) doivent s’alimenter auprès de toutes sources disponibles souvent des distributeurs indépendants ou « brokers ».

Certains d’entre eux sont très habiles et loyaux. Pour certains autres, c’est le jackpot des prix multipliés par dix. Il faut trouver des pièces à tous prix. On assiste alors à des promesses non tenues, des responsabilités reportées, des stocks de sources inconnues, voire douteuses. Des composants aux date code remarqués, aux caractéristiques miraculeusement boostées, quelque fois vides, sans puces… Cette situation de crise est éreintante, elle dure un an ou plus.

Retour à la normale  :

C’est quand les appros des plus gros consommateurs seront “sous contrôle” et que l’offre se sera adaptée à la demande que la situation se stabilisera enfin. C’est souvent là que les capacités de production commencent alors à bénéficier des investissements réalisés par les fabricants. Ceux-ci ne l’ont pas fait dans l’urgence, pour les raisons évoquées plus haut, mais le font toutefois pour profiter du dynamisme de l’économie et pour croître structurellement.

Forts de cette augmentation de capacité, les prix commencent alors à baisser, les fabricants, désirant maintenir leur niveau de production, aménagent leurs tarifs (Pricings) pour garder les volumes de commande.

Une régulation de cycle délicate :

On en arrive à l’overshoot : Les stocks de sécurisation n’étant pas totalement résorbés, les volumes sont au plus bas et les prix dégringolent.

Certains fabricants auront été plus habiles, plus réactifs ou auront mieux anticipé que d’autres. La période qui suit est alors compliquée pour ces derniers. Leurs valorisations s’en trouveront affaiblies et les rendront vulnérables. On assistera alors à des ventes acquisitions, des consolidations qui auront finalement comme conséquence la baisse mondiale de capacité de production.

Le ratio d’usage remonte alors progressivement à 100%, ce qui rend la situation de nouveau instable. Il ne suffira alors plus qu’un marché qui tire un peu la demande et c’est la nouvelle goutte d’eau !

Quelles perspectives  à la pénurie ?

Sans tout avoir pu tout couvrir, voici donc schématisé le mécanisme des pénuries de composants électroniques. il fallait auparavant 10 ans pour boucler cette boucle, on peut désormais assister à des cycles de 4 à 5 ans. Tout dépend de la taille de la goutte d’eau ou de leurs tailles cumulées (5G + Automotive++) par exemple.

La pénurie 2021 pourrait bien durer. La situation de sortie de pandémie est synchrone avec des besoins électroniques grandissant. Selon Mike Hogan, 50% du cout d’un véhicule sera consacré à l’électronique en 2030, soit 15% de plus qu’en 2010 (source article https://resources.supplyframe.com/the-past-present-and-future-of-automotive-semiconductor-shortages/).

La pandémie a souligné la dangereuse dépendance européenne vis-à-vis de l’Asie, il est une priorité d’optimiser notre supply chain. Le juste à temps a montré ses limites, l’automobile en est un bon exemple. Les risques de rupture pourraient bien couter plus cher à l’industrie que la constitution de stocks stratégiques. Il n’est en effet pas réaliste d’espérer pouvoir produire tous nos composants électroniques en Europe. Une bonne stratégie d’achats doit savoir intégrer une gestion de stocks réfléchie. La mutualisation des stocks, l’économie circulaire avec l’exploitation des excédents de stocks peut aussi participer à notre indépendance.

Comment agir aux niveaux global et individuel ? Comment bien se positionner sur son marché ? Comment intégrer dans nos stratégies les choix des technologies, ceux des composants, la constitution de stocks, la sélection des fournisseurs ainsi que celle de ses partenaires industriels ?

AGIGA vous propose de participer à cette réflexion, à cet échange de connaissances et de bonnes pratiques. Votre avis sur la question et votre témoignage seront bienvenus et assurément très utiles à l’enrichissement de notre industrie.

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